Qu’est ce que l’EMDR et comment cela peut agir sur les TNF ?
Un article de Laura Stoffel : psychologue à Lyon
L’EMDR, de quoi s’agit-il ?
« Eye Movement Desensitization and Reprocessing », que l’on peut traduire par :
« Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires ».
Cette technique a été découverte par Francine Shapiro, une psychologue Américaine, en 1987. Elle a tout d’abord appliqué cette méthode sur des vétérans de la guerre du Vietnam et a publié ses 1ers résultats en 1989.
A quoi sert l’EMDR ?
Cette thérapie est reconnue comme efficace dans le traitement des troubles de stress post-traumatiques. Elle vise à traiter les conséquences psychologiques, physiques et/ou relationnelles liées à l’exposition à un traumatisme psychique.
L’efficacité de l’EMDR a été scientifiquement prouvée depuis 1989 par de nombreuses études contrôlées. Depuis 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé la préconise pour le traitement des troubles de stress post-traumatiques.
Qu’est-ce que le trouble de stress post-traumatique ?
Lorsqu’on est exposé à un évènement traumatique, il est possible que l’évènement ne soit pas traité correctement. L’évènement peut être si insupportable que le cerveau « se déconnecte » et enregistre le souvenir à l’état brut qui reste ensuite « coincé » dans la zone émotionnelle.
Les conséquences possibles sont l’apparition de symptômes de stress post-traumatique :
- Symptômes d’intrusion : l’événement peut réapparaître de manière répétée et involontaire sous forme de flashbacks ou de cauchemars, avec de fortes réactivations émotionnelles
- Symptômes d’évitement : la personne peut être amenée à éviter des activités, des situations, des personnes ou même des pensées, des sentiments ou toutes conversations qui rappellent le traumatisme
- Effets négatif sur les pensées et l’humeur : les symptômes dépressifs sont fréquents, comme une exacerbation des émotions désagréables (peur, colère, tristesse), une perte d’intérêt dans les activités appréciées auparavant ou des pensées négatives envers soi-même (dévalorisation, culpabilité, honte)
- Altération de la vigilance et des réactions : difficultés à s’endormir ou se concentrer et sensation d’être en hypervigilance.
Comment fonctionne l’EMDR ?
Il s’agit d’une thérapie de désensibilisation utilisant des stimulations sensorielles bi-alternées. L’objectif étant de stimuler les hémisphères droit et gauche du cerveau alternativement. Les stimuli sont le plus souvent oculaires, mais nous pouvons également utiliser des stimuli auditifs ou tactiles. Ces stimulations vont permettre de diminuer la charge émotionnelle liée à l’événement traumatique.
Durant notre sommeil paradoxal nous faisons naturellement ces mouvements oculaires permettant de retraiter les évènements et de les classer dans la mémoire comme des souvenirs, diminuant ainsi la charge émotionnelle que ces évènements véhiculent. L’EMDR reproduit donc ce même mécanisme que nous faisons naturellement mais qui n’a pas pu se faire correctement.
En demandant au patient de se replonger dans l’évènement traumatique, l’EMDR va solliciter 4 registres : le perceptif, le cognitif, l’émotionnel et le corporel.
Le retraitement par l’EMDR aura un effet sur 3 niveaux :
-le passé : les souvenirs anciens responsables de la souffrance d’une personne, afin qu’ils ne soient plus autant perturbants.
-Le présent : les éléments déclencheurs actuels afin qu’ils n’activent plus la souffrance.
-Le futur : la projection dans le futur, afin qu’elle soit plus positive.
Les étapes de l’EMDR :
L’EMDR implique un protocole structuré et organisé en différentes étapes :
- Propositions d’outils de stabilisation émotionnelle, afin de stabiliser les éventuels débordements émotionnels durant la séance. La personne pourra également les utiliser de manière autonome à la maison en cas de besoin pour s’auto-apaiser et retrouver un sentiment de sécurité. (Exemples : lieu sûr, contenant…)
Travailler sur des événements traumatiques n’est pas anodin. L’exposition a des contenus difficiles et l’accès aux émotions désagréables sont inévitables. Il n’est pas rare que certaines séances soient éprouvantes. Cependant, pour que les séances en EMDR soient efficaces, la personne doit rester dans sa fenêtre de tolérance émotionnelle tout le long du processus. C’est-à-dire que la personne doit ressentir et identifier ses émotions sans être en hyper-activation (hyperventilation, crises d’angoisse…) ni en hypo-activation (c’est ce qu’on appelle la dissociation : être coupé de son corps, de ses émotions et de ses sensations). Pour cela, différents outils de régulation émotionnelle sont utilisés afin de revenir dans sa fenêtre de tolérance. Il est donc essentiel de construire une bonne alliance et une relation de confiance entre le thérapeute et le patient.
- Exposition au souvenir traumatique. Le thérapeute demande au patient de se concentrer sur le souvenir traumatique en gardant à l’esprit les aspects sensoriels (odeur, image, son, sensations physiques) ainsi que les pensées et les ressentis négatifs.
- Désensibilisation : Apaisement des réactions émotionnelles en lien avec le traumatisme. Le thérapeute provoque des mouvements oculaires saccadés de gauche à droite chez le patient en lui demandant de suivre une baguette ou son doigt avec ses yeux sans bouger sa tête. Simultanément, il encourage le patient à se concentrer sur le souvenir ciblé. Le souvenir sera alors associé à une pensée plus positive et apaisante.
- Intégration du traumatisme dans la mémoire autobiographique. Les stimulations bilatérales favorisent la digestion, la fragmentation, l’intégration, et le rangement de l’information. Le souvenir va apparaître souvent comme plus lointain, plus flou, plus apaisé.
- Réinterprétation de l’événement après traitement du souvenir traumatique. Une fois désensibilisé, le souvenir est retraité différemment. De nouveaux liens peuvent se faire, il y a une possibilité de relativiser l’événement, d’être plus objectif, de se débarrasser des pensées culpabilisantes et même d’en tirer des enseignements.
En pratique, le nombre de séance est variable mais il s’agit d’une forme de thérapie brève.
Comment trouver un thérapeute EMDR ?
Pour accompagner efficacement la personne en souffrance, cette thérapie doit être utilisée par un professionnel bien formé. La pratique de l’EMDR est réservée aux psychologues et psychiatres.
Si vous cherchez un professionnel proche de chez vous, il existe un annuaire de professionnels formés par l’Institut Français d’EMDR : https://www.ifemdr.fr › annuaire-emdr
Quel est l’intérêt de l’EMDR pour les patients qui souffrent d’un TNF ?
L’EMDR est une technique de psychothérapie utilisée chez les personnes souffrant de TNF avec un trouble de stress post-traumatique comorbide ou chez des personnes souffrant de TNF et ayant été exposées à des traumatismes psychiques complexes.
Le stress est un des facteurs déclenchant des symptômes TNF. L’exposition à un ou plusieurs événements traumatiques représente un des facteurs prédisposants majeurs aux TNF : 50 à 75 % des patients TNF ont été exposés à des traumatismes psychiques. Un facteur prédisposant qui persiste après le début des symptômes fonctionnels devient un facteur de maintien et entrave le rétablissement. C’est pourquoi il est essentiel de traiter le trouble de stress post traumatique chez les patients concernés.
L’EMDR permet d’agir positivement sur les cognitions (les pensées), les comportements et les émotions en lien avec l’événement traumatique et ainsi de réduire le stress perçu et d’améliorer la qualité de vie de la personne. Cette réduction de stress pourrait ainsi réduire des symptômes TNF.
Il est important de choisir le bon moment pour pratiquer l’EMDR et il faut surtout que la personne se sente prête à ce travail. Pour ma part, j’ai la chance de travailler avec une équipe pluridisciplinaire au centre bipol-AIR, permettant aux patients de développer différentes ressources en amont de l’EMDR : identification et gestion des émotions, techniques de gestion de symptômes, techniques de relaxation, expérimentations motrices, renforcement de connaissances sur la maladie TNF…
Quelles difficultés peuvent-être rencontrées dans la pratique de l’EMDR avec des patients TNF ?
- L’Alexithymie, qui correspond à la difficulté à identifier ses émotions, rend la thérapie EMDR plus complexe. Une étude de 2014 montre que 34,5% de patients avec des symptômes moteurs d’origine fonctionnelle souffrent d’alexithymie, contre 5,9% chez les personnes en bonne santé. Beaucoup de patients TNF sont donc concernés par cette problématique. Au centre bipol-AIR, nous privilégions le travail sur l’identification des émotions et la pratique des techniques corporelles (sophrologie, psychomotricité…) en amont de la thérapie EMDR. L’objectif étant d’être plus à l’écoute et connecté aux signaux émotionnels internes que le corps envoie, autrement dit à ses sensations.
- La fréquence des expériences dissociatives : elle concerne 1/3 des patients avec un TNF moteur et 90% pour les patients qui souffrent de Crises Fonctionnelles Dissociatives. La dissociation est un système de protection involontaire et automatique qui s’active lorsqu’une émotion est mal tolérée (par sa nature ou son intensité). Les personnes sont alors comme coupées de leur corps, de leurs sensations et du moment présent. L’objectif étant de s’exposer progressivement aux contenus difficiles sans se dissocier, c’est-à-dire rester dans sa fenêtre de tolérance en préservant un sentiment de sécurité. Il est souvent nécessaire pour ces personnes d’utiliser des protocoles spécifiques avec des étapes supplémentaires et plus douces.
- Les traumatismes infantiles sont fréquents chez les patients souffrants d’un TNF. Par exemple, 77% des patients souffrants de Crises Fonctionnelles Dissociatives ont été victime d’abus sexuels. Plus les traumatismes sont anciens et répétés plus la thérapie nécessite du temps. En effet, le cerveau des enfants en plein développement est plus vulnérable. L’exposition précoce à des événements traumatiques aura un impact négatif le développement cérébral avec des répercussions très ancrées sur ses croyances (envers soi-même et le monde extérieur), sa capacité de régulation émotionnelle et ses comportements. En d’autres termes, le traumatisme va impacter le fonctionnement global de la personne y compris à l’âge adulte.
- Les stratégies d’adaptation de fuite et d’évitement. C’est à dire éviter de parler, de penser, ou de ressentir des contenus difficiles ou désagréables. Or l’EMDR est une technique d’exposition visuelle, émotionnelle et cognitive désagréable. De par mon expérience, il faudra consacrer davantage de temps à la psychoéducation sur le traumatisme et l’EMDR, être patient, et renforcer une relation de confiance, afin que les patients TNF puissent se sentir suffisamment en sécurité et se faire confiance pour s’exposer.
- Une forte émotion, notamment le stress, peut provoquer des symptômes TNF. Il peut donc y avoir une amplification des symptômes TNF lors des séances d’EMDR ou les heures qui suivent (exemple : douleurs, tremblements, Crise Fonctionnelle Dissociative…). Il est donc important que le patient et le thérapeute développent des connaissances sur le TNF et la gestion des symptômes en amont de l’EMDR. Il est également important que le thérapeute soit particulièrement attentif au seuil de tolérance de la personne afin de s’adapter à elle. Nous devons également faire preuve d’adaptation à la symptomatologie et aux particularités sensorielles des patients TNF pour pratiquer l’EMDR. (Exemple : symptômes TNF provoquant des troubles de la vision : privilégier les stimulations par tapotements)
Et bravo à CAP TNF pour leur investissement !
Merci Laura
Le collectif CAP TNF
Témoignage : l’EMDR pour aider les TNF
J’ai découvert l’EMDR lorsque j’ai été orientée vers le centre Bipol-AIR pour un trouble neurologique fonctionnel consécutif à un TSPT (trouble du stress post traumatique) non traité.
Mes symptômes TNF étaient variés : diplopie (vision double), insomnie, fatigue extrême, problèmes de mémoire, migraines fréquentes, difficulté à gérer mes émotions, angoisses intenses, hypersensibilité à la lumière et douleurs inexplicables.
J’ai rapidement compris que pour que l’EMDR soit efficace, je devais faire confiance à ma psychologue et m’ouvrir, ne pas hésiter à faire remonter des souvenirs que l’on s’efforce d’oublier. Dans mon cas, il s’agissait d’une nuit au travail où plusieurs personnes sont décédées.
Le processus est long et difficile car il faut identifier l’événement traumatique, fermer les yeux, replonger mentalement dans le passé en décrivant chaque instant, et dès qu’une émotion remonte, faire une pause. C’est là que le mouvement des yeux de droite à gauche commence pour traiter cette émotion, la comprendre, l’apaiser et la justifier.
Une fois l’émotion apaisée, on continue la “scène” jusqu’à ce que le souvenir soit dissocié de l’aspect émotionnel.
Cela peut prendre des mois, mais lorsque cela fonctionne, les souvenirs sont toujours présents, mais ils ne sont plus envahissants. Personnellement, cela a été libérateur, comme tourner une page et enfin pouvoir avancer sans l’enclume du passé.
Ma diplopie est toujours là, car le trouble neurologique fonctionnel ne disparaît pas aussi facilement, mais j’ai moins d’angoisses, un meilleur sommeil, je gère mieux mes émotions, moins de douleurs et moins de problèmes de mémoire. Et surtout, pour la première fois en 4 ans, j’envisage un avenir, jusqu’à présent j’étais comme enfermée dans le passé par le traumatisme. Ma vie future sera différente, car avec le TNF et la diplopie, mais je vais réapprendre à vivre.
Je tiens à remercier Laura pour son professionnalisme, sa sympathie et sa gentillesse, sans lesquels je n’aurais pas pu y arriver.
En conclusion, l’EMDR ne soigne pas directement le TNF, mais il permet de se débarrasser du poids du passé, d’améliorer le sommeil, de réduire le stress et l’anxiété, et ainsi de mieux vivre. Il nous aide à aborder le TNF et ses symptômes sous un angle différent, en nous montrant notre force, qui nous aide à accepter la situation et à changer notre façon de penser pour vivre mieux.
Bernadette